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Jan 19

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CHARLIE HEBDO – ACTE 2

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« Libérer l’expression de la liberté d’expression »

Les semaines passées ont été marquées par la multiplication des indignations et des symboles en réaction immédiate aux événements dont Charlie Hebdo fut l’épicentre. L’horreur des faits a rapidement et largement été qualifiée de « 11 septembre français ». Comparaison discutable, mais qui incite dès à présent à la vigilance en mettant le doigt sur les risques qu’il fait craindre plutôt que sur les mérites qu’il fait espérer, puisqu’on se souvient des suites de Nine Eleven : « le vote des lois antiterroristes rassemblées dans le Patriot Act et l’extension considérable des activités de renseignement des agences américaines ; les guerres d’Afghanistan et d’Irak ; les errements d’une grande partie de l’intelligentsia et des médias, en particulier à gauche. »1

L’idée d’un « Patriot Act à la française » (France 5) est déjà lancée et Yves Thréard rappelle, à toutes fins utiles, qu’«[il] est prévu, dans la loi anti-terroriste qui a été votée au mois de novembre dernier [2014] de justement pénaliser les intentions. C’est une première d’ailleurs. »2 Une loi promise à un bel avenir. Nous savons donc ce que les terroristes y ont perdu (la vie), mais nous ignorons encore ce que nous allons y gagner. Incertitude sur l’avenir, précipitation sous contrôle dans le présent : aussitôt notre émotion, notre expression, notre désir de faire quelque chose ont été pris en charge par la classe politique et la sphère médiatique : union nationale et républicaine sans doute (pas ?), mais mobilisation générale certainement, qui fait titrer « Les politiques ont confisqué la marche, les associations s’indignent » à Mediapart d’un côté ; une nouvelle forme de communication terroriste qui passe par la complicité involontaire des médias, comme l’explique Jean-Christophe Galien : aujourd’hui « les victimes sont les messagers de leurs bourreaux. […] les acteurs qui sont ceux qui vont tuer utilisent finalement les victimes pour diffuser eux-mêmes ces messages. »3

Terreur, mais aussi un gros travail médiatique de réparation nationale, chirurgical : le mercredi la tragédie et l’horreur, le jeudi l’indignation et le deuil, le vendredi la traque et le châtiment, le samedi les hommages et la mobilisation, le dimanche la célébration et les adieux (soirée France 2), mercredi la résurrection et le pardon… 3 jours après. La France officielle en tire une impression générale qui lui semble bien légitime : le sentiment d’avoir fait les choses comme il faut. Et pourtant… où étions-nous dans ce maelstrom ? Après ces deux semaines de recul, sommes-nous certains d’avoir maîtrisé et réfléchi la signification de cet événement ? Sommes-nous bien sûr de savoir à quel genre d’indignation et à quel genre de célébration nous avons librement participé ?

Sous l’effet de notre volontarisme, une nouvelle période peut s’ouvrir : celle qui libère l’expression du slogan de la « liberté d’expression », qui fait passer le micro du « système » à la société civile, qui fait succéder la patience de l’examen critique au spontanéisme des émotions, et qui par là transforme le trauma en mémoire collective, le fait divers en événement historique, les peines individuelles en fraternité, la fragilité du commun en désir d’engagement.

 

1 Thomas Cantaloube, René Backmann, « Les leçons du 11 septembre 2001 », www.mediapart.fr, le samedi 10 janvier 2015.

2 Yves Thréard, éditorialiste et directeur adjoint de la rédaction du Figaro, invité dans C dans l’air, « A chacun son Charlie », présenté par Yves Calvi, le 12 janvier 2015, 44e minute.
3 Jean-Christophe Galien, spécialiste de la communication politique, dansLes matins, sur France Culture, le 9 janvier, 5e min.

 

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